RDC – Culture : L’inscription de la rumba congolaise à l’Unesco comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité devrait l’embarquer sur la voie de la professionnalisation.

Au Festival Amani  tenu à Goma au Nord-Kivu du 04 au 06 février 2022 au Nord-Kivu, le Professeur André Yoka Lye Mudaba, directeur général de l’Institut National des Arts à Kinshasa (INA) et présidant du comité mixte pour la promotion de la rumba congolaise comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité à l’Unesco, a exprimé dans un entretien exclusif à la Rédaction de Afia Amani Grands Lacs (AAGL),  son souhait de voir la reconnaissance de la Rumba Congolaise  comme patrimoine culturel Immatériel de l’humanité  être une occasion d’embarquer cette musique congolaise  sur la voie de sa professionnalisation.  Nous vous livrons  cet entretien en intégralité.

AAGL : Professeur André Yoka Lye Mudaba (AYLM), la  rumba congolaise a été admise en décembre 2021 par l’Unesco comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité, après les chants polyphoniques des pygmées Aka de Centrafrique en 2008, et le tambour du Burundi en 2014. Elle devient ainsi le troisième bijou culturel immatériel de l’Afrique centrale à l’Unesco. Quel a été votre sentiment, vous qui avez présidé le comité mixte Congo-Kinshasa et Congo-Brazzaville dans cette démarche. 

AYLM : C’est un sentiment de satisfaction. Une victoire de la RDC et du Congo-Brazzaville d’abord, ensuite de l’Afrique et du monde en général. La rumba congolaise a une longue histoire. Les spécialistes situent ses origines dans l’ancien royaume Kongo, où l’on pratiquait une danse appelée « Nkumba », qui signifie nombril, parce qu’elle faisait danser les hommes et les femmes en rapprochant leurs nombrils. C’est aussi une musique de résistance et de résilience. Lors de la traite négrière, les africains ont emmené dans les Amériques leur culture et leur musique. Ils ont fabriqué leurs propres instruments rudimentaires d’abord, puis sophistiqués pour donner naissance au jazz dans le nord, et la rumba dans le sud. Il faudra attendre quelques années pour que cette même musique soit ramenée en Afrique par des commerçants, avec disques et guitares très enjolivées. Déjà en 2016, sa cousine cubaine,  la rumba cubaine avait été inscrite à l’Unesco comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Ce que l’Unesco a fait en décembre 2021 n’est que justice, parce que la rumba vient de l’Afrique, précisément de la RDC. 

AAGL : Et donc, votre présence à ce 8ème Edition Festival Amani  dans la ville de Goma au Nord-Kivu en RDC n’est pas anodine. Ici où coule à flot durant trois jours, la musique africaine pour réclamer la paix, la renonciation et le pardon entre les populations de la région des grands-lacs victimes des nombreux conflits armés voilà plus de deux décennies ? 

AYLM : Justement le Festival Amani est une occasion en or pour faire passer les messages de paix, de réconciliation et de pardon entre les peuples de la sous-région des grands-lacs qui ont connus des conflits armés inexpliqués depuis plus de 20 ans déjà . La musique est un catalyseur. A travers elle, des messages forts peuvent être véhiculés sans heurter les sensibilités. Parce que c’est de l’art, chacun y trouve le message qui le concerne et peut changer positivement son comportement. Il était donc importent que nous soyons présent à ce Festival pour rassurer les artistes que le travail qu’ils font est louable et fini par payer quelque soit le temps que cela peut prendre.

AAGL : La reconnaissance de la rumba congolaise comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco est un honneur pour les artistes musiciens. Mais jusqu’à présent, peu sont des artistes qui vivent de ce travail. Comment faire pour que les artistes de la rumba puissent vivre correctement et dignement de leur métier sans recourir à d’autres petits métiers ?

AYLM : C’est vrai cela fait presqu’un siècle que les artistes de la rumba congolaise peinent à vivre de leur métier, pourtant si noble. Dans les années 40, 50 et 60, les artistes de la rumba congolaise ont connu un franc succès à travers le monde, en partageant leur bonheur avec l’humanité. Les années qui ont suivi, la musique est devenue un véritable business. Et les artistes qui font la musique devaient se professionnaliser. On parlait et on parle alors de l’industrie de la musique. Nous les intellectuels et universitaires venons de faire notre part, en constituant un dossier solide pour que cette musique soit reconnue comme un patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco; c’est maintenant aux politiques, aux hommes d’affaires et aux artistes de prendre cette branche que nous leur avons tendu pour mettre en valeur les œuvres de la rumba et faire vivre dignement de leurs métier les artistes qui  portent cette rumba. En RDC comme au Congo-Brazzaville, il faut des politiques culturelles claires et fermes. Les entités discographiques doivent être encadrées et protégées par les politiques nationales. Un pays comme la RDC avec autant d’artistes à travers le pays sans politique discographique viable est simplement regrettable. Les artistes meurent et ne se remplacent pas si facilement, lorsque l’art n’a pas nourri son maître. Les pouvoirs publics et les privés doivent mettre des moyens financiers conséquents pour financer la culture.

AAGL : Que pensez-vous d’un Fond de Promotion Culturelle pour booster l’industrie culturelle dans sa généralité et la rumba congolaise en RDC et au Congo-Brazzaville.

AYLM : Ça serait une idée géniale. Les talents sont là, mais manquent un encadrement pour éclore de façon spéculaire dans le monde. Cependant, nous devons inviter les artistes de la rumba à codifier leurs chansons en solfège. C’est vrai qu’au niveau de l’Institut National des Arts à Kinshasa, nous enseignons de manière structurée et non informelle, la rumba comme domaine de connaissance. Mais ce n’est pas suffisant, si les artistes eux-mêmes n’apprennent pas comment codifier leurs chansons. La rumba est trop orale, or les spécialistes de la musique sont unanimes qu’une fois ces chansons codifiées, nous les écouterons facilement dans les opéras à Paris, à New-York ou au Japon.

AAGL : En 1990, le Président Mobutu avait convoqué la Conférence Nationale Souveraine au Zaïre (RDC), pour entendre et prendre des mesures idoines en rapport avec les préoccupations de la population zaïroise (congolaise). Dans ces consultations populaires, plusieurs questions ont été épinglées, y compris la mise en place des Fonds de Promotion dont celui de culture. Cela était resté une lettre morte ?

AYLM : Vous savez dans notre pays, ce ne sont pas des textes qui manquent. C’est l’application stricte de ces textes qui cause problème. Il devait y avoir un Fond de Promotion de l’Industrie, un Fond de Promotion de l’Agriculture, mais aussi un Fond de Promotion de la Culture. Les crédits devraient être octroyés selon certains critères bien définis par les conférenciers aux personnes qui sont dans ces secteurs et qui animent au quotidien la vie des citoyens zaïrois (congolais). Aucun encadrement d’une politique nationale n’a suivi ces recommandations qui sont presque restées dans les tiroirs. La bonne nouvelle ce que si nous devons nous y repencher aujourd’hui, il y a déjà un draft que nous pouvons tirer de ces terroirs, et l’adapter aux nouvelles réalités actuelles du numérique.

AAGL : Professeur André Yoka Lye Mudaba, nous vous remercions et vous souhaitons un bon retour à Kinshasa.

AYLM : Je vous remercie également et vous encourage à être des ambassadeurs de la Rumba auprès de la communauté pour une meilleure appropriation.

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